Je vous propose de découvrir ou redécouvrir deux longs métrages, en nous arrêtant tout d’abord sur leurs contextes respectifs, à première vue proches mais pourtant très différents.
Le Cercle des poètes disparus a marqué toute une génération lors de sa sortie en France au début de l’année 1990. Ce film américain, réalisé par Peter Weir, a pour tête d’affiche principale le célèbre et regretté Robin Williams. De son côté, La Révolution silencieuse est un film allemand bien plus récent, réalisé par Lars Kraume et sorti sur grand écran en 2018.
Rapprocher ces deux films semble à première vue naturel lorsque l’on résume succinctement les histoires qu’ils racontent. Se focalisant sur un petit groupe d’élèves, ils narrent la vie de deux classes de terminale qui traversent leur dernière année d’enseignement secondaire et se préparent à rejoindre le supérieur pour y poursuivre des études. En outre, ces œuvres ont pour cadre la même période historique, la première phase de la guerre froide. Le film américain se déroule en 1959, son homologue allemand en 1956.
Pourtant, en approfondissant, nous pouvons nous rendre compte que les contextes particuliers des deux films sont très différents, voire opposés. L’histoire du Cercle des poètes disparus se déroule au moment où la superpuissance américaine et l’aisance matérielle de l’Amérique blanche (nous sommes encore pendant la période de la ségrégation raciale) sont à leur apogée. C’est aussi l’époque des prémices de la révolution des mœurs des années 1960 ; le jeune Kennedy est en passe d’accéder à la présidence et de remplacer le vieux général de la 2nde guerre mondiale, Eisenhower.
Trois films permettent d’ailleurs de s’imprégner de la vie de cette jeunesse américaine de l’époque :
- Retour vers le futur (épisode 1), réalisé par Robert Zemeckis et paru en 1985, insiste sur la vie d’élèves de terminale de 1955
- Peggy Sue s’est mariée, réalisé par Francis Ford Coppola et paru en 1986, se déroule essentiellement en 1960 et raconte la vie de Peggy Sue et de ses camarades élèves de terminale
Ces deux films mettent en avant le décalage entre d’un côté les années 50-60 et de l’autre les années 1980. Je conseille d’ailleurs vivement le visionnage de Peggy Sue à toutes celles et ceux qui se questionnent sur leur avenir et la manière de prendre des décisions.
- American Graffiti, réalisé plus anciennement par Georges Lucas en 1973, se focalise sur un samedi soir de la fin du mois d’août 1962 d’un groupe de jeunes d’une petite ville de Californie, peu avant leur entrée à l’Université.
Au sein du Cercle des poètes disparus, peu d’éléments permettent de saisir que nous sommes dans l’Amérique que je viens de décrire. Le récit se concentre sur la vie d’un institut, d’un internat pour l’élite qui se présente comme un temple de la tradition et de l’excellence. Nous sommes un peu hors du temps, dans un lieu ancien entouré de nature. L’internat est exclusivement masculin, la direction est composée d’hommes âgés et intransigeants. La modernité apparaît dans les quelques moments qui se déroulent à l’extérieur de l’école et dans le fait que nous savons dès le début de l’histoire que ces jeunes hommes sont voués à devenir la future élite de l’Amérique et à rejoindre les plus grandes universités. Toute l’intrigue se noue autour de la tension qui règne au sein des élèves entre le conservatisme et l’autoritarisme qu’ils subissent et le vent de liberté qui se développe au dehors et auquel une partie d’entre eux aspire.
Au contraire, La Révolution Silencieuse épouse son temps. L’histoire, inspirée de faits réels, se déroule sept ans après la naissance de la RDA, l’Allemagne de l’est socialiste, pays qui est à cette époque le protégé de l’URSS. Le régime politique socialiste se présente comme progressiste, en faveur de l’égalité et en lutte contre le conservatisme qu’il attribue au camp capitaliste des Etats-Unis. Le lycée dans lequel les élèves suivent leur scolarité se vante de donner l’opportunité à des élèves issus des catégories populaires d’obtenir leur baccalauréat, diplôme alors réservé à une petite minorité (par exemple, seuls 8% des jeunes obtenaient leur baccalauréat en France à l’époque). A l’inverse de l’élitisme de l’internat du Cercle Poètes disparus, le lycée de la ville allemande de Stalinstadt met en avant la démocratisation.
Malgré des contextes dissemblables, la contestation de l’autorité et du conservatisme par les élèves est au cœur des deux scénarios. En effet, les élèves est-allemands considèrent que leur institution scolaire et leur État dans son ensemble trahissent l’idéal socialiste d’émancipation des peuples et sont gagnés par un nouveau conservatisme et un nouvel élitisme. D’ailleurs, comme nous le verrons au sein du prochain article, le film allemand est largement construit comme un hommage à son prédécesseur américain.