Moins de 4000 !
C’est le nombre de bacheliers en 1852, quand est créé le bac « S ». Presque un siècle plus tard, juste avant la 2ème guerre mondiale, ils sont environ 12 000.
A l’époque, 97% des jeunes n’ont pas le bac et ne font pas d’études supérieures. En 2023, au contraire, ce sont 75% des jeunes qui obtiennent le bac, soit 600 000 chaque année. L’immense majorité poursuit vers des études supérieures. Résultat, il y a près de 3 millions d’étudiants en France. L’Université a très longtemps accueilli environ 2/3 des étudiants. Elle a été bouleversée par la montée des bacheliers.
Nombre d’étudiants à l’Université :
- 1900 20 000
- 1960 200 000
- 2024 1 600 000
I. Entasser les étudiants
Je me souviens de mon premier jour en licence d’histoire. Arrivé une dizaine de minutes avant le début du cours, je me suis assis…dans les escaliers. L’amphithéâtre était archi-plein. Le professeur a délivré un apprentissage théorique livresque devant des étudiants entassés. De nombreuses universités ont été construites, surtout en périphérie des villes. Mais cela ne suffit pas.
Depuis 20 ans environ, le nombre de professeurs à l’Université a augmenté de 6% pendant que le nombre d’étudiants augmentait lui de 18%. Remplir les amphithéâtres est la première solution de l’État face à la montée des effectifs. Mais pas la seule, entassement en licence et sélection allant de pair à l’Université.
II. Sélectionner les étudiants à l'Université
En 1966, sont créés les DUT (bac +2), filières sélectives, au sein des Universités. En 2021, ils sont remplacés par les BUT (bac +3). Cette branche technologique, avec un cursus plus court et plus professionnalisant, c’est 1 étudiant sur 14 de l’Université !
C’est donc 1/14ème de l’Université qui est devenue sélective depuis 1966.
Les DUT devenus BUT attirent. Par exemple, le BUT techniques de commercialisation est la 3ème formation la plus demandée à l’Université après PASS (santé) et Droit. Il y a environ 185 000 demandes sur parcoursup pour 17 000 places. Ils attirent les étudiants issus des bacs technologiques (les « techno ») mais aussi ceux issus des bacs généraux (les « généraux »). A tel point qu’en 2017 les étudiants « généraux » représentaient 70% des étudiants dans ces filières, les étudiants « techno » 30%. Cela avait des conséquences en chaîne. Les étudiants « techno » étaient très nombreux en BTS, ce qui amenait des étudiants « pro » à entrer en licence générale parce qu’ils n’étaient pas sélectionnés en BTS. Il s’agissait de choix subis, non adaptés à leurs vœux et à leurs formations, au sein de cursus très théoriques. C’est pourquoi 97% des étudiants « pro » échouaient au sein de la licence dans laquelle ils étaient entrés.
Il y a quatre ans, un bon élève de terminale m’a dit qu’il souhaitait passer par un IUT avant d’entrer en école de commerce qu’il voulait éviter une « classe prépa ». Ce schéma est de plus en plus courant. Le BUT semble être devenu un débouché « naturel » pour les filières générales. C’est pourquoi l’État aurait pu augmenter considérablement le nombre de places en BTS et BUT. Il aurait permis l’augmentation des étudiants « pro » en BTS, des étudiants « techno » en BUT, le maintien du même nombre d’étudiants « généraux » et la baisse des effectifs en licences générales. Lors de la mise en place de parcoursup, il a préféré l’instauration d’une politique de quotas, avec des places réservées aux « pro » en BTS et 50% des places en BUT pour les « techno ».
Cela permet à l’État de ne pas avoir à dépenser plus dans les filières qui coûtent cher. En effet, un étudiant dans des filières à petits effectifs coûte à peu près 50% de plus qu’un étudiant en licence générale.
Pour les étudiants, cela a permis :
- Plus de bacs pro en BTS
- Plus de bac techno en BUT
- Moins de « pro » et « techno » en licences générales
- Un taux d’échec global en baisse dans les licences générales
Seulement, les effectifs en licences générales, toujours surchargées, n’ont pas diminué. Surtout, la sélection s’est accrue pour les « généraux » à l’entrée en BUT où le nombre de places a nettement baissé pour eux.
III. Une Université mal-aimée qui choisit d'accentuer la sélection
Entré en septembre 2000 dans une prépa HEC « de proximité », je suis accueilli avec mes camarades par un : « vous êtes la future élite de la nation ». Mais je me rends vite compte que les écoles de commerce, ce n’est pas fait pour moi. Alors je change d’orientation et intègre une licence d’histoire. Je ressens vite un malaise. Je me sens considéré comme un étudiant médiocre, qui doit faire ses preuves pour être pris en considération. Le regard sur moi, sur nous étudiants de licence, commence à changer en licence 3.
A l’époque, 1 étudiant sur 4 obtenait sa licence en 3 ans. Les professeurs, dont les cours étaient de qualité, attendaient que l’ « écrémage » se fasse, considérant sûrement qu’ils avaient trop d’étudiants pour qu’ils soient autre chose que des « anonymes ».
Au début des années 2000, l’Université se sent mal aimée par les « bons » étudiants, qui se dirigent vers les classes prépa et désertent les bancs surchargés des licences. Ce phénomène s’est accentué au cours des années 1980-1990. Sous la présidence de Mitterrand, la gauche souhaite démocratiser l’accès aux classes prépa. C’est pourquoi, en plus des prépas à Paris et dans les grandes villes, elle encourage la création des prépas « de proximité », en périphérie et dans les villes moyennes. Le nombre de prépas double et atteint le nombre de 360 environ. L’objectif est d’en faciliter l’accès pour les étudiants de classes sociales moins favorisées. Mais pour l’Université, c’est la perte de nombreux « bons » étudiants. Elle sent alors l’urgence de changer, de se réinventer, mais elle se sent aussi « coincée » par son obligation d’accueil sans sélection de tous les bacheliers, qui sont de plus en plus nombreux. En 1986, le gouvernement de droite de Jacques Chirac souhaitait établir la sélection à l’entrée à l’Université. Mais les manifs étudiantes et lycéennes, avec près d’un million de jeunes dans les rues, l’amène à renoncer à cette mesure.
Alors, comment sélectionner sans sélectionner ?